Culture
- Publié le 23 novembre 2020

Stéphane Malfettes : « La création artistique nous permet de garder foi en l'avenir »

Crédit photo : Romain Etienne / Item

Deuxième volet d’une série de rencontres avec des acteurs du monde culturel confinés… et inspirés. Stéphane Malfettes, directeur des Subsistances, répond à nos questions et évoque BIPOD, le festival de danse contemporaine qui se déroule du 25 novembre au 1er décembre.

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Première question, si vous deviez définir l'année 2020 en trois mots…
Stéphane Malfettes
: Il y a un mot qui m'a marqué et qu'on a utilisé d'ailleurs à dessein, c'est le mot « nécessité » qui, en général, est accompagné de qualificatifs comme « première nécessité » ou alors « absolue nécessité ». Du coup, cela ouvre le débat autour de cette question de nécessité : Qu'est-ce qui est nécessaire ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Ou qu'est-ce qu'il l'est moins ? Je trouve que c'est un débat de société assez fort puisque certes, il y a des choses qu'on identifie tout de suite comme première nécessité, le fait de devoir se nourrir, notamment. Mais on peut considérer que cette notion de nécessité s'étend bien au-delà, et notamment au domaine qui nous concerne, aux Subsistances et ailleurs : le domaine de la culture et de la création artistique. Donc, c'est vrai que la façon dont ce débat s'est posé -et peut-être la façon dont il ne s'est pas tout à fait épanoui- me pose question...

Dans ce contexte d’urgence sanitaire, quel est le rôle de la culture ?
Pour moi, le rôle de la culture, c'est vraiment d'arriver à dépasser finalement les certaines contradictions du monde, ou en tout cas arriver, à « faire communauté » au sens le plus élevé du terme, malgré la distanciation notamment. Mais même malgré toutes les formes de distanciation qui peuvent exister, au-delà de ces distanciations physiques. Et comment la culture nous permet aussi vraiment d'embrasser la complexité du monde et pas de céder à des simplifications un petit peu outrancières, des oppositions binaires, des rejets dogmatiques. Finalement, ce qui est beau dans l'acte artistique et dans la culture, c'est cette capacité qu'on a tous de nous projeter ensemble. Puisqu’il y a aussi cette histoire de projection et comment, finalement, la création artistique nous permet de garder foi en l'avenir. En tout cas, de ne pas en avoir peur et de plutôt le désirer. Plutôt désirer la nouveauté, le renouvellement, le changement, le mouvement et surtout pas rester figé dans quoi que ce soit.

Aux Subsistances, quelles leçons avez-vous tiré du premier confinement que vous pourriez appliquer aujourd'hui ?
L'importance de l'intelligence collective, et surtout pas se replier sur ses certitudes… surtout quand on en a plus beaucoup. Faire confiance à la capacité qu'on peut avoir à agir collectivement dans la coopération, dans la collaboration en interne, mais aussi vers les autres. C'est un peu une grande leçon d'un des spectacles qu'on n'a malheureusement pas pu montrer la semaine dernière -j'espère qu'on pourra le montrer plus tard- mais qui était venu en résidence aux SUBS et qui s'appelle le VIRUS (le bien nommé) de Yan Duyvendak. En fait c’est un jeu de rôle, un jeu de situations, pour endiguer une pandémie. Alors, il a imaginé ce processus bien avant qu'on parle de coronavirus. Il a été complètement télescopé par la réalité. Et finalement, le grand enseignement, c'est la façon dont on arrive à sortir d'une situation comme ça, en dépassant des convictions personnelles, en dépassant aussi des intérêts personnels, pour se mettre au service d'un intérêt commun, et selon des processus qui, souvent, sont à inventer ensemble. Du coup, c'est un petit peu philosophique posé comme ça mais, ça serait peut-être une des leçons de cette situation et de cette crise sanitaire.

Quelle initiative culturelle vous a le plus marqué dans cette période de crise sanitaire ?
Alors certainement pas toutes les chansonnettes qu'on a pu entendre de nos musiciens nationaux ou internationaux. Même s'il y a eu de très belles choses. C’est vrai que je me suis aussi posé la question de la façon dont les artistes sont intervenus au service de l'intérêt général, au-delà même de leur périmètre créatif. Je pense à l'initiative de l'artiste JR qui, avec le Refettorio, qui si j'ai bien compris, un restaurant populaire ou en tout cas pour apporter des subsistances aux plus démunis, qui est à Paris, dans la crypte, sous l'église de la Madeleine. Il a monté ça avec un chef italien, Massimo Bottura, et en fait, pendant le confinement, ils ont activé complètement le fonctionnement de ce restaurant pour aller livrer dans la rue, des plats, des repas, faits par des chefs. Je trouve ça assez super comme mode d'action, de considérer que finalement, cette première nécessité alimentaire peut passer aussi par un acte de création gastronomique. Il a mobilisé toute la chaîne alimentaire, de la collecte d'invendus jusqu'à la fabrication et la distribution, je crois qu’il y avait une cinquantaine de chefs impliqués et une centaine de bénévoles qui ont servi près de 5 000 plats par jour. Je trouvais que c'était un bel exemple de la façon dont un artiste peut agir dans la vie de la cité.

Pouvez-vous nous parler de la BIPOD (Beirut International Platform of Dance) dont l’édition 2020 sera pour la première fois organisée exclusivement en ligne ?
C'est un festival de danse qui existe depuis une quinzaine d'années à Beyrouth, organisé notamment par un chorégraphe qui s'appelle Omar Rajeh, qui est venu il y a quelques mois s'installer dans notre région, pour les raisons qu'on comprend et la situation de Beyrouth, qui est en plus particulière, avec cette explosion qui a eu lieu cet été. Plus ce qu’ils vivent aussi, comme nous actuellement. Du coup, Omar Rajeh a décidé de proposer une édition uniquement numérique, en utilisant finalement ce qu'il y a de meilleur dans Internet et ses possibilités, c'est-à-dire de se mettre en connexion quel que soit l'endroit où on est, et notamment aux quatre coins du globe. Donc il a réuni des artistes et des institutions à Beyrouth, mais aussi à Genève, à Téhéran, à Madrid, à Rio de Janeiro, à Berlin… et à Lyon pour proposer un programme pendant plusieurs jours, qui va enchaîner des conférences, des rencontres, des performances, des spectacles en direct.

Tout va être produit et coordonné depuis un studio des Subsistances. Du coup, il y aura aussi des interactions avec ce qui se passe aux SUBS à ce moment-là. La grande question qui va traverser un peu toutes ces journées de création artistique, de discussion, c’est la façon dont nos corps physiques, en temps de crise, en temps d'effondrement, comment ils réagissent, comment ils essayent de surmonter ça ? Quelle est la capacité de résilience ? De résistance ? Voire de révolte ? Comment ça peut être mis en mouvement par notre esprit certes, mais aussi nos corps dans l'espace public qui sont en ce moment particulièrement contraints. C'est une très belle initiative, vraiment portée par un artiste qu'on accueille, vu les circonstances.

Un conseil de lecture pour prendre une grande bouffée d’oxygène ?
Je pense à un truc ! C'est aussi toujours cette articulation ou même cette confrontation entre la culture savante et la culture populaire. Ça serait peut-être pour revisiter la préhistoire de Netflix en relisant ou en lisant des trucs comme les Mémoires de Saint-Simon ou La comédie humaine de Balzac. Puisque ça représente des milliers et des milliers de pages, qui sont d'ailleurs accessibles dans les bibliothèques lyonnaises grâce au clique et retrait… Mais plus sérieusement, peut-être parler d’un bouquin qui s'appelle La dialectique de la pop qui est un bouquin plutôt de philosophie, mais sur la pop music, qui décloisonne vraiment les approches entre musique savante et musique populaire, et qui a été écrit par Agnès Gayraud, qui est enseignante à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts, à Lyon. En fait cette philosophe et auteure, est également musicienne, connue sous le nom de La Féline, et on a un projet un peu fou de concert avec elle dans tous les espaces des Subsistances, concert qui serait proposé au public en streaming dans quelques semaines… c'est une surprise.

De quoi rêvez-vous pour 2021 ?
Pour moi, c'est un peu particulier, mais je rêve de tornade. Déjà c’est parce que je suis un peu monomaniaque, par rapport aux Subsistances, mon lieu de travail, où on va installer avec deux jeunes artistes une immense tornade en papier sous la verrière, qui est l'espace vedette des Subsistances. Cette tornade avait été installée au printemps et bien sûr, elle symbolisera beaucoup de choses, mais avant tout une sorte de tourbillon créatif dont on a beaucoup besoin aussi aujourd'hui. Et puis, peut être une façon aussi de faire le ménage par rapport à tout ce qu'on a vécu. En lien avec cette métaphore de la tornade et du dérèglement climatique qui nous guette. Donc, comment aussi on rester en alerte sur possiblement ce qui peut nous arriver de pire, mais en restant optimiste !

Les SUBS https://www.les-subs.com/
BIPOD 2020https://www.citerne.live/fr/events/bipod-2020